L’engorgement des villes : une menace pour la croissance du e-commerce ?

En Chine, l’e-commerce a généré en 2016 pas moins de 31,3 milliards de colis. Il y a seulement 10 ans, ce chiffre était 31 fois inférieur. La Chine représente à elle seule 46% du marché mondial de l’e-commerce.

Ces chiffres démesurés montrent l’ampleur de l’impact logistique du e-commerce.

Nous sommes d’ailleurs bien loin d’une situation stabilisée. L’e-commerce n’absorbe, sur le plan mondial, que 8,8% de la consommation. La part de marché du e-commerce devrait atteindre 16% en 2021. A panier égal, cette évolution signifie en 5 ans plus de 57 milliards de colis supplémentaires annuellement dans le monde.



Au lieu d’approvisionner des magasins, qui accueillent des consommateurs à pied, en transports en commun ou en voiture, l’e-commerce génère des colis en grand nombre. Les solutions de livraison « hors domicile », en points relais, consignes, click & collect se développent. Mais la livraison à domicile reste souvent le mode choisi par les consommateurs.

L’e-commerce modifie profondément la nature des flux dans une agglomération.

Le nombre de colis distribués en France, d’environ 600 ou 700 millions, reste bien modeste en comparaison avec la Chine et ne représenterait que 1% des colis distribués dans le monde.

Pourtant, nous voyons déjà l’effet de ces colis en grand nombre. A l’échelle de l’Ile-de-France, ce sont probablement 25 à 30% de ces 700 millions de colis qui sont acheminés annuellement. Chaque jour, 800 000 colis, l’équivalent de 8 000 véhicules de livraison avec 100 colis par véhicule, sont livrés dans l’Ile-de-France. Ces véhicules sont ceux de La Poste, premier prestataire, mais aussi ceux de tous les réseaux de transport express, de monocolis, des messagers et des réseaux de points relais.

L’e-commerce génère de nombreux flux parallèles. Ce sont les retours, qui caractérisent certains secteurs comme l’habillement et la chaussure. Ce sont aussi de nombreux colis livrés 2 fois du fait de l’absence du destinataire lors du passage du livreur.
Le taux de croissance que nous connaissons en France, même s’il est inférieur à celui constaté en Chine, est de 20% par an.

Les livraisons « instantanées », comme le propose Amazon Prime Now ou certains distributeurs, encore marginales à l’échelle des flux de marchandises dans Paris, contribuent à accentuer ce phénomène. Ces flux, qui n’existaient quasiment pas il y a seulement 3 ans, représentent déjà 3% des livraisons dans Paris. Le développement très rapide du M-commerce (achats à partir du smartphone), contribue au besoin d’instantanéité de l’achat et de la livraison.

Les villes pourront-elles absorber sans limite ces nouveaux flux ?

Il s’agit là d’une vraie question dans une époque marquée par des politiques locales anti-diesel, anti-voitures, favorisant les mobilités douces, un partage de la voirie au profit du vélo et des transports en commun. Ces actions politiques s’intègrent dans une volonté d’amélioration de la qualité de l’air mais aussi du respect des engagements de la France dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat : réduction à l’échéance de 2030 de 40% des émissions de Gaz à Effet de Serre par rapport au niveau de 1990.
Plus que jamais, les actions qui permettront de mutualiser les flux deviendront une nécessité afin de réduire l’impact de cette atomisation sans limite. Livrer 10 ou 15 colis au même endroit, que ce soit sur un lieu de travail (une entreprise), un point relais, une consigne automatique, ou un espace de click & collect devient une bonne pratique.

Une analyse du fonctionnement logistique de certains pays, notamment du Japon, pays dans lequel l’e-commerce est particulièrement développé, peut nous aider à améliorer notre propre organisation. Au Japon, la livraison sur créneau horaire de 2 heures, y compris le soir, est la règle. Le livreur mutualise la livraison et la collecte. Les collectivités locales ont un rôle dans une gestion efficace de l’espace public, permettant d’accueillir de façon organisée les camions, de favoriser des livraisons du dernier kilomètre à pied ou en cargocycle. Les espaces logistiques urbains existent dans tous les quartiers, permettant le fonctionnement de la livraison en mode doux. Les magasins de proximité, très nombreux au Japon, ont un rôle essentiel dans le fonctionnement logistique du pays. La gestion du temps et de l’espace fait partie de l’efficacité économique. Elle participe à une meilleure fluidité de la ville et à une réduction des embouteillages, tout en permettant la réalisation dans de bonnes conditions des opérations de livraison, indispensables à la vie des zones urbaines.

Cette gestion de l’espace dans un pays connu pour sa rareté mérite d’être analysée. En Europe, l’espace urbain est trop souvent utilisé pour le stationnement de voitures, au détriment d’autres fonctions et notamment de l’efficacité logistique de la ville. Une meilleure gestion du stationnement permet de participer à la réduction des embouteillages, tout en préservant la mixité des modes de mobilité.

Face au constat de l’engorgement des villes, une meilleure organisation des flux est une nécessité. Il s’agit alors d’une savante alchimie entre optimisation de l’espace public, réglementation, préservation du foncier urbain pour la logistique et bonnes pratiques de livraison.

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